Saint Barthélemy
Saint-Barthélemy

Un bout d'histoire
L’île de Saint-Barthélemy (appelée aussi Saint-Barth ou Sen Bart en créole) fait partie des îles Sous-le-Vent dans les Petites Antilles. D’une superficie de 21 km², elle est située entre l’île Sint Maarten/Saint-Martin et les îles St-Kitts et Nevis (Saint-Christophe-et-Niévès) au sud-ouest et l’île de la Barbade au sud-est. Saint-Barthélemy est à 25 km à l’est de Saint-Martin, une autre île française des Antilles, et à 200 km au nord-ouest de la Guadeloupe.
Saint-Barth constitue un archipel, puisqu’il compte plusieurs îlots: île Chevreau, île Coco, île Fourchue, île Frégate, île de La Tortue, île Le Boulanger, Les Grenadins, Pain-de-Sucre, île Pelée, île Petit-Jean, île Toc Vers. L’île principale, Saint-Barthélemy, fait environ 10 km de long sur 2 km de large.
La ville principale de l’île est Gustavia, la capitale. Les autres localités importantes sont Saint-Jean, Lorient et Colombier. L’activité dominante de l’île est le tourisme de luxe, lequel s’appuie sur des infrastructures hôtelières adaptées à une clientèle en principe fortunée.
La ville principale de l’île est Gustavia, la capitale. Les autres localités importantes sont Saint-Jean, Lorient et Colombier. L’activité dominante de l’île est le tourisme de luxe, lequel s’appuie sur des infrastructures hôtelières adaptées à une clientèle en principe fortunée.
L’île était peuplée à l’origine par les Caraïbes (les Arawaks) et se serait appelée Ouanalao (de ioüana-lao qui signifierait «iguane-dessus», «où il y a des iguanes», «là où on trouve l’iguane», comme à Sainte-Lucie), terme aujourd’hui inscrit sur le blason de Saint-Barthélemy. Quoi qu’il en soit, il n’est pas historiquement sûr que les Amérindiens aient appelé l’île Ouanalao, mais on est certain qu’elle fut, plus tard, découverte par Christophe Colomb en 1493, lors de son second voyage. Il lui donna le nom de son frère, San Bartolomeo (en français: Saint-Barthélemy), et la revendiqua pour l’Espagne. Mais les Espagnols ne s’installèrent pas dans l’île, trop petite pour l’exploitation agricole intensive.
Le début de la colonisation française
Le désintéressement de l’île par les Espagnols permit aux Français de s’y installer et d’entreprendre une première colonisation à Lorient en 1648, sur l’ordre du commandeur Philippe de Longvilliers de Poincy (1583-1660), membre des chevaliers de Malte, un ordre destiné à la défense de l’archipel de Malte afin de lutter contre les Turcs
Cette poignée de Français (une cinquantaine), arrivés de Saint-Christophe (mais originaires de la Normandie pour les deux tiers), pratiquèrent l’agriculture, la pêche, l’élevage et le travail du sel. Toutefois, de violents affrontements eurent lieu entre les premiers occupants (les Caraïbes) et les colons français. En 1656, les Français furent attaqués par les Indiens et, en conséquence, ils préférèrent se replier sur l’île de Saint-Christophe jugée plus sûre.
Quelques années plus tard, en 1659, une trentaine de colons français, toujours en provenance de Saint-Christophe (aujourd’hui Saint Kitts and Nevis, mais alors possession française), s’installèrent à nouveau à Saint-Barthélemy, accompagnés de quelques esclaves. En 1664, on y comptait une centaine de colons français, tous embarqués de Saint-Christophe, mais qui étaient en général des Bretons, des Vendéens, des Poitevins, des Saintongeais et des Anjevins. Puis le commandeur Philippe de Longvilliers de Poincy, en tant que chevalier de Malte, initia de près son ordre dans l’administration coloniale.
Cependant, l’aridité du climat et l’ingratitude de la terre empêchèrent tout développement agricole d’envergure, notamment en matière d’industrie sucrière, ce qui n’entraîna guère l’importation massive d’esclaves. Il y eu pourtant, de nombreux navires négriers en provenance d’Afrique à transiter par Saint-Barthélemy et quelques-uns à y vendre leur cargaison d’esclaves.

L'épisode des chevaliers de Malte (1651-1659)
En 1648, la Compagnie des Isles d’Amérique — dont dont les statuts prévoyaient la fondation d’établissements dans toutes les îles d’Amérique qui n’étaient pas encore occupées par les «rois chrétiens» ainsi que la «conversion des Sauvages» à la religion catholique apostolique et romaine — était en faillite. L’île de Saint-Barthélemy fut mise en vente et Philippe de Longvilliers de Poincy s’organisa pour que l’Ordre de Malte achète (pour 120 000 livres) Saint-Barthélemy en 1651. Il restera gouverneur jusqu’à sa mort, survenue en 1660, alors que l’Ordre de Malte avait abandonné l’île dès 1656. Les habitants y avaient développé davantage la flibuste et la pêche que la culture du coton ou de la canne à sucre. Il n’y a que peu à dire de cette période, sauf que le français a continué d’être utilisé par les autorités et qu’il était parlé dans sa forme populaire par les insulaires.
Le retour à la France (I)
L’île fut reprise en 1659 par les Français sur l’ordre du ministre Colbert. Lorsque le gouverneur Philippe de Longvilliers de Poincy décéda en 1660, un neveu de ce dernier fut nommé pour le remplacer. Les descendants des premiers colons français déjà installés continuèrent d’exploiter l’île, mais pour la France elle n’avait de valeur que comme une éventuelle monnaie d’échange (environ 500 000 livres). Les habitants eurent donc une grande liberté dans l’administration de Saint-Barthélemy.
En 1666, les Saint-Barths furent «invités» manu militari à occuper les terres de la partie britannique de l’île de Saint-Christophe reprise par les Français. Plus de 700 Irlandais furent évacués de Saint-Christophe vers Saint-Barthélemy. Cependant, cet «échange» de population ne semble pas avoir eu de suite, car la plupart des colons français revinrent dans leur île que les Irlandais durent abandonner. Bref, les colons français venus à Saint-Barthélemy à cette époque sont toujours arrivés de l’île Saint-Christophe, non de France. La langue qu’ils parlaient n’était pas le créole, mais un français commun régionalisé et marqué par quelques traits de créolisation.
Au recensement de 1671 (mentionné dans l’étude de Nault et Mayer), on dénombrait dans l’île 290 Blancs et 46 esclaves (14 %), ainsi que de quelques Noirs affranchis. Selon ces mêmes auteurs, le «groupe fondateur» de l’île était déjà constitué en 1681 à partir de trois familles pionnières (les Gréaux, les Aubin et les Bernier), auxquelles se greffèrent trois autres (les Questel, les Laplace et les Lédée) arrivées entre 1681 et 1687. Ce sont eux qu’on appelle les «les éléments irréductibles du vieux noyau Saint-Barth». En 1681, près des deux tiers des familles blanches de l’île ne possédaient aucun esclave; deux propriétaires possédaient le tiers des esclaves.
Quant aux esclaves, ils correspondaient généralement pour les colons de l’île à une sorte de «domestiques» devant compenser pour l’absence d’engagés ou d’ouvriers agricoles. Non seulement ils n’étaient pas des «bêtes de somme» comme dans les autres îles des Antilles, mais ils habitaient avec leurs maîtres, et les femmes étant plus nombreuses que les hommes. La plupart des esclaves vivaient dans l’est de l’île (zone «Au Vent», propice aux activités agricoles) et parlaient un français créolisé, alors que ceux qui habitaient l’Ouest (zone «Sous le Vent») parlaient surtout le «patois» français.
Jusqu’au traité d’Utrecht de 1713, la France se montra réticente à peupler l’île de colons d’origine française. La colonie de Saint-Barthélemy se développa malgré tout, mais ce fut davantage à cause de l’obstination des Saint-Barths à occuper leur île. Néanmoins, ce développement fut toujours freiné par les guerres incessantes entre la France et la Grande-Bretagne. En 1744, les Britanniques occupèrent Saint-Barthélemy, ce qui eut pour effet de faire évacuer presque toute la population par des corsaires anglais. En 1750, il ne restait plus que 30 «hommes portant armes» et cinq esclaves.
En 1765, Saint-Barthélemy comptait 258 Blancs et 113 esclaves (30 %). Le recensement de 1766 établissait la population à 327 habitants, dont 214 Blancs, 109 Noirs (en distinguant 69 nègres, 18 négresses, 22 négrillons et négrillonnes) et 4 Mulâtres. La quasi-totalité des esclaves provenaient de Saint-Christophe, de la Martinique et de la Guadeloupe, et ils parlaient le créole de leur île.
Dans un «Mémoire» du 26 février 1784 rédigé par le gouverneur Claude Charles de Marillac, vicomte de Damas (successivement gouverneur de Saint-Martin, de la Guadeloupe, puis de la Martinique), on trouve cette opinion sur l’île Saint-Barthélemy: «Cette isle n’est qu’un morne entièrement dégradé où les habitants ne trouvent plus les moyens de subsister et dont la population diminue considérablement.» Saint-Barthélemy, cette petite montagne arrondie et isolée (ce qu’on appelle un morne) au milieu de la mer des Caraïbes, était donc destinée à devenir en principe un parc à volailles et à bestiaux, ce qui parut sans intérêt pour la France. La même année, Charles Gravier, comte de Vergennes (1719-1787) et ministre des Affaires étrangères de Louis XVI, proposa au roi d’échanger l’île afin de pouvoir installer un entrepôt commercial dans le port de Göteborg en Suède.
La période suédoise (1784-1878)
Louis XVI vendit l’île de Saint-Barthélemy au roi de Suède, Gustave III ou plutôt l’échangea contre un droit d’entrepôt à Göteborg (Suède). Gustave III était francophile et entretenait des relations privilégiées avec la France (du moins jusqu’à la Révolution française de 1789). C’est même grâce à un coup d’État financé par la France que Gustave III avait pris le pouvoir en 1771. Connaissant mieux le français que le suédois et grand admirateur de Voltaire, Gustave III lisait dans leur version originale française les philosophes des Lumières. L’étiquette de la cour de Suède était une transposition de celle de Versailles, et on s’y habillait à la française. Ayant reçu une éducation française, Gustave III fut le plus francophile des rois de Suède. Régnant en «despote éclairé», Gustave III encouragea l’enseignement primaire et améliora la condition paysanne. Au moment de son accession au trône, la Finlande était annexée à la Suède. Pour Gustave III, l’acquisition d’un territoire «français», ne fusse qu’une petite île comme Saint-Barthélemy (S:t Barthélemy en suédois), ne pouvait que le combler de satisfaction.
Dans l’espoir de rentabiliser sa nouvelle acquisition, le roi de Suède déclara que l’île de Saint-Barthélemy serait exemptée de toute taxe (port franc). En réalité, ce fut la ville de Gustavia et son port (appelé encore à l’époque Le Carénage) qui furent l’objet de toutes les attentions de la part de la nouvelle Métropole.
Le port devint une base de ravitaillement sur le chemin des Indes occidentales, un gîte privilégié de la piraterie et un centre d’accueil pour des milliers de navires. Sa rade naturelle, toujours protégée de la houle, en fit l’un des mouillages les plus sûrs de toutes les Antilles.
On sait aussi que, dès le moment de l’acquisition en 1784, la Couronne suédoise dut donner à la population de Saint-Barthélemy des garanties pour maintenir le système esclavagiste en vigueur dans l’île qui se trouvait au centre du commerce des esclaves. La Suède se trouvait ainsi responsable d’une «colonie esclavagiste», mais elle avait déjà pratiqué la traite négrière lors de la colonie de la Nouvelle-Suède (1638-1655). La Suède se réadapta rapidement en appliquant des règlements similaires à ceux des îles britanniques, françaises, hollandaises et danoises. Jusqu’à la prise de possession par les Suédois, les esclaves de Saint-Barthélemy furent soumis à l’équivalent du fameux Code noir, l’ordonnance de Louis XIV destinée à réglementer et à tempérer le régime de l’esclavage, et précisant les devoirs des maîtres et des esclaves.
En fait, ce code a été substitué en 1787 par un «Code noir suédois», l’Ordonnance de police de 34 articles rédigé tout d’abord en français (30 juin), puis en anglais (30 juillet) par le gouverneur de Saint-Barthélemy de l’époque, Pehr Herman von Rosenstein (1787-1790). Comme il faut s’y attendre, l’ordonnance de von Rosenstein ne contient aucune disposition d’ordre linguistique. À l’instar de la France, ce code était surtout destiné à protéger la minorité blanche des rébellions possibles de la part des esclaves. En 1804, le gouverneur Anckarheim a cru nécessaire de rééditer le code original dans son rapport sur Saint-Barthélemy, soit 17 ans après sa première promulgation.
Dans son ouvrage Saint-Barthélemy à l’époque suédoise, Per Tingbrand rapporte le témoignage d’Axel Theodor Goës, un médecin suédois en poste à Saint-Barthélemy de 1865 à 1870. Celui-ci rappelle le cas de l’un des tout premiers Suédois à s’établir à Gustavia en 1785, Adolf Fredrik Hansen, qui aurait exercé un métier lucratif dans le commerce des esclaves: «Il fit de bonnes affaires dans le commerce d’esclaves, affrétant pour cela ses propres bateaux. Il avait sa baraque d’esclaves sur le quai est, dans le quartier Kranglet ou Drottningen. Le commerce était rentable, comme le montre son grand livre de comptes qui est encore conservé avec son chiffres d’affaires annuel d’un demi-million de piastres.» Bref, pour un Suédois débutant dans le commerce des esclaves, il avait dû apprendre très rapidement les règles du métier! Dans un rapport d’un médecin de l’époque suédoise, il est mentionné que l’iguane (Ouanalao) constituait souvent la nourriture des esclaves à Saint-Barthélemy.
À partir du tout début du régime suédois, l’île connut une véritable explosion démographique. Dès 1785, la population de l’île était passée à 542 Blancs et 408 esclaves (43 %), et ce n’était que le commencement. C’est alors qu’apparut le créole de Saint-Barthélemy, un créole importé d’abord de la Martinique (55 %), puis de la Guadeloupe (10 %). Cependant, des Français de Saint-Barthélemy émigrèrent vers l’île de Saint-Thomas, alors sous juridiction danoise. À partir de 1792, le port de Le Carénage fut appelé Gustavia, en hommage à Gustave III de Suède (1771-1792), qui avait été assassiné, le 16 mars 1792, lors d’un complot fomenté par la noblesse, à l’Opéra royal de Stockholm; le roi s’apprêtait à intervenir contre la Révolution française. Atteint d’un coup de pistolet, Gustave III s’est écrié en français, en désignant son assassin: «Ah! Je suis blessé, tirez-moi d’ici et arrêtez-le!» Son fils, Gustave IV Adolphe (1778-1837), lui succéda, mais il sera déposé par un coup d’État en 1809, après la perte de la Finlande donnée à la Russie.
Au recensement de 1812, la population de Saint-Barthélemy comptait 5482 habitants (dont 3881 seulement à Gustavia). De ce nombre, 2406 (soit 43,8 %) étaient des esclaves et 1128 (soit 20,5 %) étaient comptabilisés dans la catégorie «libres». Les quelque 900 blancs d’origine française et catholique poursuivirent leurs activités dans les campagnes, délaissant la ville de Gustavia laissées aux étrangers. C’est aussi à partir de ce moment que le français des colons se transforma en deux variétés: un français patoisant à l’ouest (zone «Sous le Vent») et un créole à base française à l’est (zone «Au Vent») amené par les Noirs parlant déjà le créole martiniquais. N’oublions pas que les Saint-Barths n’étaient plus en contact avec la France, car ils vivaient «en terre suédoise»; leur français avait alors toutes les chances d’évoluer différemment. De fait, les pêcheurs de l’ouest de l’île développèrent leur «patois» archaïsant, alors que les exploitants agricoles de la partie est (zone «Au Vent») apprirent le créole de leurs esclaves. Au début, les Blancs du secteur «Au Vent» n’utilisaient le créole que comme langue véhiculaire afin de communiquer avec leurs esclaves. Puis, peu à peu, les Blancs de cette zone en vinrent à l’utiliser, eux aussi, comme langue maternelle. Par contre, les esclaves habitant le secteur «Sous le Vent» abandonnèrent rapidement leur créole pour le «patois des Blancs».
En somme, la division en deux secteurs de l’île a eu pour effet d’accentuer l’absence des contacts entre les deux groupes, les routes étant par surcroît presque inexistantes sur cette île montagneuse. Les divisions géographiques, professionnelles et sociales entraînèrent donc une division linguistique: le patois français à l’ouest, le créole à l’est. La particularité linguistique de ces deux parlers, créés à des époques différentes à l’origine, c’est que le patois et le créole sont tous deux une résultante du français populaire. Le créole est originaire de la Martinique, alors que le patois, plus tardif, a été élaboré à Saint-Barthélemy et il a lui-même influencé ultérieurement le créole de l’île.
Quant à la ville de Gustavia, elle se développa à l’écart des populations autochtones, françaises et noires. Les contacts entre les Français et les Suédois et autres étrangers demeurèrent rares et épisodiques. Non seulement Français et Suédois ne se sont pas mêlés, mais la présence suédoise a pu accentuer l’isolement des colons ainsi que la formation du patois et du créole. Français et Noirs partagèrent le même territoire rural dans la zone «Au Vent», jusqu’à la cohabitation. La colonie suédoise vécut une certaine période florissante en raison des nombreux bateaux voyageant dans les Caraïbes et faisant escale à Gustavia.
Le port de Gustavia attirait en plus des Suédois des milliers d’étrangers, notamment des Britanniques, des Hollandais, des Danois, etc. La ville devint très cosmopolite, multiconfessionnelle et multilingue. L’anglais et le français étaient les langues les plus couramment parlées dans la ville entre les négociants et les armateurs; suivait le suédois, parfois le néerlandais. C’est ce qui explique, entre autres, que le «Code noir suédois» fut rédigé en français et en anglais, et non en suédois, une langue moins véhiculaire.
Cela étant dit, une annonce (souvent intitulée «Avis»), parue en décembre 1814, indique clairement qu’on pouvait enseigner, dans les écoles de l’île, trois langues «aux enfants des deux couleurs et des deux sexes», soit le français, l’anglais et l’espagnol, un phénomène rarissime pour l’époque
Par ailleurs, la colonie suédoise s’est révélée très tolérante en matière de religion. En effet, Saint-Barthélemy comptait quatre confessions religieuses: l’Église catholique de France, l’Église suédoise luthérienne, l’Église anglicane et la Mission méthodiste de Wesley. Ces quatre communautés fonctionnaient chacune dans leur langue, soit le français, le suédois et l’anglais.
Bien qu’à partir de 1815 la Suède eût interdit les navires négriers dans le port de Gustavia, certains navires marchands continuèrent le troc d’esclaves en abordant discrètement dans l’île Fourchue (voir la carte en 1, plus haut), à l’extrémité nord-ouest du territoire. Il faut préciser que la Couronne suédoise ne considérait pas la vente et l’achat d’anciens ou de vieux esclaves (les Créoles) comme faisant partie de la traite. Bref, la politique suédoise à l’égard de l’esclavage était plutôt ambiguë. En principe, elle était contre, mais dans la pratique elle fermait les yeux sur les commerces illicites auxquels se livraient certains résidents de Gustavia. S’il n’y a jamais eu de trafic massif d’esclaves à Saint-Barthélemy, il y a eu certainement du «troc» clandestin. De plus, il paraît évident que la politique suédoise à l’égard de l’esclavage était très tolérante et permissive dans sa non-intervention.
Vers 1830, la paix était revenue entre Français et Anglais, alors que les bateaux ne faisaient plus escale dans le port de Gustavia. La récession commença et la vie économique périclita. On assista alors à une émigration des colons vers les îles Vierges américaines, plus particulièrement l’île de Saint-Thomas (îles Vierges américaines). Pour les Suédois, la petite colonie de Saint-Barthélemy avait perdu tout intérêt et elle ne représentait plus qu’un poids économique. De plus, la population avait diminué du quart entre 1812 et 1819.
Selon Nault et Mayer, les esclaves qui vivaient à Saint-Barthélemy étaient concentrés entre les mains d’une petite minorité de la zone «Au Vent», tandis que la majorité des familles n’en possédaient qu’un deux ou trois, tous des domestiques. En 1840, quatorze familles (17 %) possédaient plus de la moitié du nombre total des esclaves. Une seule famille possédait à elle seule 10 % des esclaves.
Dans un rapport de 1841, le gouverneur James H. Haasum, qui préconisait l’abolition de l’esclavage, écrivait que les esclaves travaillaient de 6 heures à 16 heures et qu’une coupure d’une heure leur était accordée pour la pause-déjeuner. Selon lui, les esclaves disposaient de tous leurs week-ends et pouvaient cultiver un jardin pour leur subsistance et même couper du bois. En somme, c’était le bonheur! Mais, en 1840, rares encore étaient les affranchis! On sait aujourd’hui que 55 % des esclaves provenaient de la Martinique, contre 10 % de la Guadeloupe, les autres étant originaires d’îles diverses (Saint-Christophe, Saint-Thomas, Saint-Vincent, etc.). Rappelons-le, les Suédois considéraient comme de «vieux esclaves» les Créoles, par opposition à ceux venus d’Afrique (les «bossales»). Ce sont les Noirs de la Martinique qui ont initialement introduit leur créole à Saint-Barthélemy, mais ce créole s’est ultérieurement modifié au contact du «patois» local français.
Ainsi, contrairement à certaines fausses croyances largement répandues à ce sujet, l’île de Saint-Barthélemy ne fut pas un «îlot vierge de tout asservissement». Bien que l’île ait échappé à ce qu’on peut appeler «l’esclavage industriel» ou ce qu’on appellerait sans doute aujourd’hui «l’esclavage de grande surface», l’esclavage de type «domestique» a tout de même existé sur une période s’étendant de l’arrivée des premiers colons français (au milieu du XVIIe siècle) jusqu’à l’abolition de l’esclavage au milieu du XIXe siècle, soit durant près de deux cents ans.
L’abolition de l’esclavage s’est effectuée à partir de 1846 par la Couronne suédoise et s’est étalée sur deux ans (jusqu’au 9 octobre 1847), le temps pour le gouvernement de racheter l’ensemble des esclaves à leurs propriétaires avant de les libérer, une opération qui aurait coûté plus de 30 000 dollars (”piastras”) espagnols au Trésor suédois (sur 97 000 dollars demandés). Au moment de l’émancipation des esclaves, il ne restait plus beaucoup d’esclaves à Gustavia, à peine 250.
Les recensements suédois à l’époque de l’abolition font état d’une population d’origine africaine égale en nombre à celle d’origine européenne. Après leur libération, on croit que les Noirs auraient progressivement quitté l’île, soit qu’ils auraient fui, soit qu’ils seraient partis avec leurs anciens maîtres en raison du déclin économique amorcé depuis quelques décennies. Selon l’historien Guy Lasserre, plus des neuf dixièmes des Noirs auraient quitté l’île dès 1847 et ceux qui sont restés auraient toujours vécu en marge de la société blanche, notamment à Gustavia. En 1854, la population d’origine africaine représentait encore 46 % de la population totale de Saint-Barthélemy.
Même si très peu de Noirs se seraient installés à la campagne, on en a retrouvé en 1853 et 1854 dans la zone «Au Vent», regroupés en ménages. De façon générale, jalouse de ses origines et de ses coutumes, la paysannerie blanche, pauvre par surcroît, aurait eu tendance à refouler les Noirs, surtout que les petites exploitations agricoles n’exigeaient guère de main-d’œuvre supplémentaire. Il demeure quand même évident que le métissage n’a pas épargné la campagne… compte tenu de la couleur basanée de certains Saints-Barths d’aujourd’hui.
Cela étant dit, même si la grande majorité des Noirs avait quitté Saint-Barthélemy après l’abolition de l’esclavage, le créole est resté parce qu’il était parlé aussi par les Blancs. Pour la suite de l’histoire, le créole de Saint-Barthélemy restera une «langue de Blancs».
En 1852, des cyclones et un important incendie à Gustavia ont fait fuir temporairement la plupart des habitants. La situation économique ayant périclité, les successeurs de Gustave III pensèrent à se défaire de l’île. D’après un recensement à Gustavia en 1875, il ne restait plus alors dans la capitale que 793 habitants, dont quelques dizaines d’étrangers nés en Suède, aux États-unis ou dans les Antilles britanniques, hollandaises, danoises (îles Vierges), espagnoles (Porto Rico et Saint-Domingue). La plus grande majorité des habitants de la ville était formée surtout des «natifs» de Saint-Barthélemy. Dans les zones rurales, la population est restée relativement stable, avec 2374 habitants en 1875.
La période d’occupation suédoise n’a apparemment pas laissé de traces ni dans la population ni dans la toponymie, sauf à Gustavia. Effectivement, l’odonymie suédoise (par ex.: Kungs gatan) existe bien à Gustavia et figure de nos jours avec les dénominations françaises (Rue Oscar), mais il n’existe pas de toponymes suédois dans les zones rurales. Les Suédois ont construit trois forts qui portent les noms d’origine: le fort Gustave, le fort Karl (aucun vestige) et le fort Oscar. Du temps des Suédois, les quartiers de la ville de Gustavia avaient des dénominations suédoises: Quarteret Doctorn, Quarteret Draken, Quarteret Kungen, Quarteret Drottingen, Quarteret Brünen, Quarteret Slätten, Quarteret Upven, Quarteret Humern, etc., pour un total de 75 (à l’époque).
Le retour à la France (II)
Lors du traité du 10 août 1877 (effectif au 16 mars 1878), l’île de Saint-Barthélemy fut rétrocédée pour une somme de 80 000 francs (pour l’évaluation des propriétés) et une autre de 320 000 francs (pour l’indemnité des fonctionnaires) à la France par Oscar II, roi de Norvège et de Suède, après consultation des habitants de l’île. La consultation a eu lieu du 29 septembre au 1er octobre 1877. Dans un télégramme daté du 3 octobre, M. Bror Ludvig Ulrich, le gouverneur de Saint-Barthélemy entre 1875 et1878, informa le département suédois des Finances que 351 voix contre une s’étaient prononcé en faveur de la rétrocession à la France.
Cependant, l’Administration française ne se préoccupa guère de Saint-Barthélemy. C’est alors qu’une habitude d’auto-administration se développa et se traduisit par un mélange de règles coutumières locales, de vides juridiques et de pratiques importées de l’étranger. Au cours de cette période, entre 1000 et 1500 Saint-Barths quittèrent leur île pour s’installer à l’île Saint-Thomas (îles Vierges américaines) où ils fondèrent deux colonies, l’une à Frenchtown (où l’on parle le patois) dans le district de Charlotte-Amélie et celle de Northside (où l’on parle créole) dans le nord de l’île. Les Saint-Barths ont ainsi reproduit à Saint-Thomas les mêmes clivages culturels, sociaux, professionnels et linguistiques que dans leur île d’origine. Beaucoup d’anciens citoyens de Saint-Barthélemy (et leur descendance) sont aujourd’hui des citoyens américains. Depuis ce temps, des relations privilégiées unissent certaines familles de Saint-Barthélemy et des îles Vierges américaines (Saint-Thomas).

Une commune de la Guadeloupe
En 1946, la France décida d’inclure les îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin sous la dépendance de la Guadeloupe; Saint-Barthélemy devint une commune d’un département français d’outre-mer («commune de Saint-Barthélemy»). En 1963, la sous-préfecture des îles du Nord fut mise en place pour la gestion administrative des îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin
Les années soixante entraînèrent l’île dans une nouvelle orientation: le tourisme. Il s’ensuivit une arrivée relativement importante de riches américains.
Une collectivité territoriale d'outre-mer
Lors d’un référendum aux Antilles en décembre 2003, les Saint-Barths ont voté à 95 % pour un changement de statut de l’île, qui est devenue au 15 juillet 2007 une collectivité d’outre-mer à assemblée unique, détachée de la Guadeloupe. Saint-Barthélemy a comme statut, pour l’Europe, un PTOM («Pays et territoires d’outre-mer»). Saint-Barthélemy reçoit environ 160 000 visiteurs par année.
La collectivité d’outre-mer de Saint-Barthélemy doit exercer les compétences dévolues au département et à la région de la Guadeloupe, c’est-à-dire fixer les règles applicables en matière de fiscalité, d’urbanisme, de circulation routière, de desserte maritime, de voirie, d’environnement, d’accès au travail des étrangers, d’énergie, de tourisme et d’organisation des services et établissements publics de la collectivité.